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Messe de Noël à l’église du Graal

Publié le vendredi 28 décembre 2018

Cette année encore, la petite cloche de l’église de Graal de Tréhorenteuc a résonné au fond de son Val, pour annoncer la messe de Noël.
Comme l’année dernière, cette belle veillée a commencé, par la montée au Mont Bréholo ou Bréhélo, qui en vieux Gaulois signifiait "la montage du soleil", ou "colline de la lumière", pour assister au dernier coucher du soleil de l’année, avant la naissance du soleil du Christ. Comme il se doit au pays du conte et de la parole poétique, Jacky Ealet écrivain et historien de Brocéliande, nous a fait le plaisir de nous lire un de ses très touchants contes de Noël, "la lettre perdue " (que j’ai retrouvé et joint à cet article…)

Puis retour à l’église au son des cloches pour la messe de Noël.
D’où venaient-ils, comment ont-ils été prévenus ? cette année encore, plus de 100 personnes étaient là, dans ce petit village qui ne compte que 113 habitants, sourire aux lèvres et impatients de vivre ce moment marquant de l’année, dans ce haut lieu, humble et isolé au fond de sa vallée.
Célébrée par le Père Roger, entrecoupée d’un très beau conte initiatique, "Le santon" de Sylvie Germain, dit par Marie Tanneux, conteuse en Brocéliande, sur fond de harpe jouée par Camille, la messe a réuni toutes ces âmes en quête de paix partagée, dans ce lieu hors du temps et du jeu des hommes, un lieu où demain sera.
Un demain qui sera celui que nous en ferons. C’est pourquoi, à l’exemple de l’Abbé Gillard, qui déambulait aux abords de son église tenant une mappemonde à la main, et criant, "il faut sauver la boule", le Père Roger a déambulé à la fin de son sermon, tenant une orange à la main, et s’écriant " il faut sauver la Boule "…. Puissions-nous prendre soin de notre humanité, et de la nature.

Je vous joints aussi une chanson écrite par le Père Roger, en hommage à Brocéliande, sa nature et son patrimoine, dont l’alléluia se chante sur l’air de "Allelujah" de Léonard Cohen.

Quelques jours auparavant, à l’occasion du solstice et de la fête d’hiver de Saint Jean-Baptiste, était proposée une marche d’environ 14km, partant de l’église du Graal pour aller à la chapelle saint Jean et sa fontaine, située dans les landes près du château de Trécesson puis retour. Une sorte de concentré de chemin de l’Avent.
Cette marche devrait devenir une marche des 4 saisons, à Pâques vers avril, à la Saint-Baptiste fin juin, à l’équinoxe de septembre, puis au solstice d’hiver. Une belle façon de se mettre en chemin, et de découvrir Brocéliande aux 4 saisons. La chapelle Saint Jean sera exceptionnellement ouverte à ces occasions, et la statue de Saint-Baptiste du 15em siècle de Tréhorenteuc, translatée en ce lieu et mise en valeur.

La lettre perdue de Jacky Ealet

Ce matin-là, la forêt et la lande étaient encore engourdies par le givre. De la vapeur montait du fond de la vallée de Rauco, émergeant à travers des rideaux de chênes, châtaigniers, pins et bouleaux. Le temps semblait immobilisé par l’hiver naissant sur les hauteurs du Bréholo. Un mince filet de fumée s’élevait au dessus de l’une des maisons du hameau. A l’intérieur, un petit garçon rêvait, le nez collé sur le carreau de la fenêtre.

Mathurin était l’enfant unique d’une humble famille originaire de Tréhorenteuc. Le père de Mathurin fabriquait des sabots. La maison du Bréholo, plantée tout en haut de sa colline de schiste en surplomb de la vallée de Tréhorenteuc, était un véritable bout du monde. Au Bréholo, on était coupé de tout. Il n’y avait rien...

Mais le jeune Mathurin était né en ce lieu et à mesure qu’il grandissait, il apprenait à vivre avec ce “rien” qui lui tenait compagnie. Le Bréholo était devenu son univers. Jamais il ne s’ennuyait. Lorsque le rouge-gorge venait s’aventurer jusqu’au seuil de la porte, ils restaient tous deux immobiles à s’observer et à échanger le silence de l’instant. Le monde de la forêt et de la lande s’offrait à lui seul et il comprenait. L’enfant savait écouter la musique ensorcelée du vent. Les beautés de la lande et les mystères des bois faisaient partie de lui-même.

Le mois de décembre était déjà bien avancé. Comme tous les enfants de son âge, Mathurin songeait à Noël. Une nuit merveilleuse, pas comme les autres, au cours de laquelle le bonhomme vêtu de rouge, répondant aux désirs des enfants, descendait on ne sait d’où avec son attelage et son chargement de cadeaux.

Avec sa plus belle plume

Cette année-là, Mathurin avait décidé d’écrire au Père Noël pour lui demander de passer jusqu’au Bréholo, de descendre dans la cheminée et de déposer un petit quelque chose dans ses vieilles galoches. Pourquoi le Père Noël ne penserait-il pas à lui ? Il avait été sage et n’avait pas démérité. Depuis peu, il avait appris à écrire. L’instituteur de Tréhorenteuc l’avait initié à l’art des pleins et des déliés. Avec sa plus belle plume, il écrivit : “Cher Père Noël, je m’appelle Mathurin et j’habite au Bréholo, en forêt de Paimpont. Je voudrais un sac de billes : des billes aussi belles que celles des enfants de Mauron.”
Il demanda aussi quelques friandises et une orange qu’il partagerait avec ses parents. La lettre terminée, il replia méticuleusement la feuille de papier et la glissa dans une enveloppe.

Le jour suivant, la dernière journée de classe avant les vacances, il reprit de bon matin le chemin de l’école avec la fameuse lettre dans sa poche. Il fallait accomplir plusieurs kilomètres à pied : descendre un chemin de terre jusqu’au Miroir aux fées, puis un autre jusqu’au bourg. Devant l’école, il prit soin de glisser sa lettre dans la boîte postale, puis il franchit le seuil de la salle de classe, des rêves de Noël plein la tête...
La veille de Noël était maintenant toute proche. Assis au coin de la cheminée, Mathurin songeait à l’instant où le Père Noël viendrait s’introduire en secret dans la maison du Bréholo. Trouvera-t-il la maison perdue en ce recoin de lande ? Pourra-t-il se frayer un chemin avec son traîneau ? Arrivera-t-il par la forêt puis par le village de La Touche Guérin, ou encore par le nouveau chemin vicinal reliant Mauron à Tréhorenteuc, ce chemin qui longe aujourd’hui la mystérieuse Butte aux tombes, avant de remonter par le Val sans retour ? Autant de questions venaient à l’esprit du jeune garçon brûlant d’impatience.

Le vent l’avait emportée

Il ne pouvait certes pas imaginer qu’au même instant, hélas, sa lettre volait quelque part dans la forêt, livrée au gré du vent. La boîte aux lettres de Tréhorenteuc était bien vétuste et sa porte fermait mal. Avec la bourrasque, elle s’était ouverte. La lettre de Mathurin était tombée et s’était perdue... Le vent l’avait emportée très loin, de fossés en talus, de buissons d’aubépines en massifs d’ajoncs. La lettre toute malmenée avait poursuivi sa course vers la forêt. Elle en avait franchi la lisière, au delà de la Troche, avant de s’échouer dans les taillis. Elle était prisonnière sous un enchevêtrement de branches mortes.

Le morceau de papier chiffonné, maculé de boue, gisait sur un tapis de mousses et de feuilles, parmi les fougères séchées et les plants de myrtilles. Cette présence étrangère mêlée aux éléments de la nature intrigua les petits êtres de la forêt. Un à un, ils s’approchèrent : les oiseaux, l’écureuil, la salamandre, la fouine, le renard, le blaireau...
Ils n’avaient jamais vu cela. La fouine, la plus curieuse, vînt frotter son museau tout près du papier. Les oiseaux, avec leur bec, décachetèrent l’enveloppe tandis que l’écureuil en extirpait le contenu. Le blaireau dégagea un peu de terre collée sur la lettre.

Prendre l’affaire en main

Le renard essaya de déchiffrer le contenu de la missive. Mais elle était encore trop sale. On demanda à la fontaine de Barenton de provoquer un peu de pluie pour laver le message. La fontaine ne refusait jamais et disait toujours oui lorsqu’il s’agissait d’une bonne cause. Il y eut suffisamment de pluie pour laver la lettre, mais point trop pour éviter d’effacer l’encre.

Ainsi bientôt, chacun pu prendre connaissance de la demande rédigée par Mathurin. Maître Goupil venait d’en faire la lecture. L’assistance réalisa aussitôt la situation. On était à quelques heures de Noël et il était à présent trop tard pour transmettre le courrier à son destinataire. Les êtres de la forêt songèrent à la déception du jeune enfant du Bréholo au matin de Noël en voyant ses galoches vides devant la cheminée. Il ne pouvait en être ainsi. Les oiseaux, l’écureuil, la salamandre, la fouine, le renard, le blaireau et tous leurs amis tinrent conseil au pied d’un vieux hêtre. Comme le Père Noël se trouvait dans l’impossibilité de répondre aux souhaits de l’enfant, il leur appartenait à eux tous, êtres de la forêt, de prendre l’affaire en main et de répondre aux souhaits de l’enfant.

Celui-ci avait demandé des billes. Tous se mirent en quête d’en trouver plusieurs dizaines, aussi belles et aussi transparentes que celles utilisées par les garçons du bourg de Mauron. D’énormes gouttes de rosée bien plus grosses que des perles furent rassemblées. Restait à leur donner des couleurs. On puisa dans les beautés de l’Intérieur, celles qu’on découvre au delà des choses visibles.

Comme des yeux de fée

Il y avait là des merveilles : des bleus, des verts, des noirs, des bruns chauds et profonds comme des yeux de fée. On disposa le lot de billes multicolores dans un sac tissé par les oiseaux. Le premier cadeau était prêt. Pour les friandises, les abeilles fournirent le miel. L’écureuil, de son côté, eut recours à ses réserves secrètes soigneusement dissimulées au creux d’un tronc d’arbre. Chacun apporta son écot.
Restait à trouver l’orange. Tout le monde repartit en hâte, car déjà la nuit de Noël était entamée et les heures étaient comptées. Le lièvre courut aussi vite qu’il put, le sanglier bouscula tout sur son passage. Le grand cerf, lui- même, partit en campagne, mais en vain. Point d’orange en vue. Les chances d’en trouver une s’amenuisaient à mesure que la nuit poursuivait sa course. Les êtres de la forêt, un à un, revinrent bredouilles. On tenta bien d’arrêter le temps pour donner de nouvelles chances à tous les chercheurs d’orange. Tous les coqs furent priés de surseoir à leur chant du matin.

La lueur de l’aube

Mais hélas, toutes les heures de la nuit furent bientôt passées. Pire encore, la lueur de l’aube, plus vite que le jour précédent, semble-t-il, pointa le bout de son nez. Derrière la cime des arbres, on vit naître le soleil. L’astre venu dissiper la nuit posa sur l’horizon son halo de feu orangé. C’est alors que silencieusement, la salamandre se glissa jusqu’à la flamme solaire pour saisir quelques braises. Très vite, chargée d’une belle boule orange, celle-ci revînt jusqu’au pied du vieux hêtre où l’attendaient tous les êtres de la forêt.

Ensemble, ils s’approchèrent de la maison du Bréholo. Le jeune Mathurin qui avait veillé une bonne partie de la nuit dans l’attente du Père Noël avait fini par s’endormir. Il dormait encore d’un sommeil profond lorsque le sac de billes, les friandises et l’orange prirent place dans ses vieilles galoches. La magie de Noël venait de s’accomplir.

Jacky Ealet