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Le labyrinthe de Chartres

Publié le samedi 29 décembre 2018

Le paradoxe du labyrinthe de Chartres, et que ce n’est pas un labyrinthe…. Dans un labyrinthe, tout est fait pour que l’on s’y perde. Choix multiples d’orientations, impasses etc. Dans celui de Chartres, vous n’avez qu’une seule voie, qui se déroulement linéairement de l’entrée à l’arrivée.

Réalisé probablement entre 1215 et 1220, il est contemporain de la construction de la cathédrale. Large de 12,89m, le chemin d’une largeur de 34 cm, représente un déroulé d’environ 261.50m. Il est le plus large de toutes les cathédrales gothiques. Le chemin est constitué de 272 dalles, ce qui pourrait être une évocation du nombre de jours entre l’Annonciation et la Nativité, la cathédrale de Chartres étant dédiée à Notre-Dame. Placé au centre de la nef au niveau de la troisième travée, il est donc orienté Ouest - Est.
Sa fonction principale semble d’avoir été un support pour les fêtes de Pâques, et donc de la résurrection. A cette occasion, le chanoine principal de la cathédrale emportant avec lui une pelote de laine jaune, parcourait tout le chemin devant l’assemblée, puis arrivé au centre, jetait tour à tour la pelote aux personnes placées en rond autour du labyrinthe qui la lui renvoyaient. Il figurait par ce geste le Christ vainqueur des enfers et de la mort, et libérant les âmes par la grâce de sa miséricorde.
Des chants et des danses sur un rythme à 3 temps, en l’honneur de la résurrection du troisième jour accompagnaient ce rituel. Cérémonial semble-t-il trop décalé par rapport aux usages rigoureux des rituels de l’époque, "Iter circulare, iter diabolicus", "chemin circulaire, chemin diabolique".... qui lui valurent son interdiction en 1538.
On comprend dès lors que si le labyrinthe peut avoir toute sa place dans une cathédrale et un rite chrétien, son origine n’est pas chrétienne.

Le plus vieux labyrinthe connu, gravé sur une corne de mammouth, serait de l’époque paléolithique. Il semble que le labyrinthe soit une évolution des cupules gravées dans la roche, du néolithique. On en trouve de très nombreux à l’époque du bronze, env -2500 BC, gravés sur des dalles rocheuses, de l’Espagne à la Norvège, puis à l’âge du fer, env-750 BC, comme par exemple au Valcamonica en Italie. Le plus célèbre des labyrinthes dans notre culture gréco-latine est celui de Knossos, en Crête. C’est dans ce dédale inextricable que le Minotaure, monstre mi-homme mi-démon était enfermé, dévorant les humains qui osaient y pénétrer. C’est le héros Thésée, qui le terrassa, et retrouva son chemin vers la sortie grâce au fil donné par Ariane.
On comprend mieux l’origine de la pelote de laine jaune (couleur solaire), tenue par le chanoine principal de la Cathédrale de Chartres, reprise de ce fil d’Ariane qui permit à Thésée de ressortir du labyrinthe infernal du Minotaure après l’avoir tué, image du Christ terrassant le diable, et par sa miséricorde libérant les âmes de l’enfer.
Les grecs et romains feront un grand usage des labyrinthes sur leurs mosaïques. Les danses devenues folkloriques, où les participants dessinent des farandoles en se tenant la main, et parfois se tenant par des rubans, sont un reliquat des danses qui devaient avoir lieu dans l’enceinte de ces labyrinthes. Le cercle ainsi dessiné symbolise le cours de la vie, et synthétise toutes les oppositions : le début et la fin, la naissance et la mort, l’origine et l’éternité. Ce cercle forme le serpent qui se mort la queue, l’Ouroboros. Une danse particulière, la Géranos, est un héritage direct de la danse qu’exécuta Thésée au sortir du labyrinthe, pour célébrer et faire mémoire de sa victoire sur le Minotaure et son labyrinthe.
Après une interruption de quelques siècles due à l’effondrement de l’empire romain, l’ère des cathédrales gothiques relancera l’usage du labyrinthe.

Ce labyrinthe dont l’entrée est à l’ouest, côté où le soleil se couche, symbole de la mort, et si l’on veut de l’imparfait, de l’impur, offre un cheminement ininterrompu vers l’est, là où le soleil se lève, symbole de la lumière christique et du salut. De fait, quand le pèlerin avait fini ses circonvolutions et arrivait au centre, il se retrouvait dans l’axe de l’autel de la cathédrale, et pouvait donc aller communier en état de grâce, et "fusionner" avec le Christ. Faire demi-tour, et refaire le labyrinthe à l’envers est donc un non-sens… Si le labyrinthe représente notre monde et ses vicissitudes, une fois arrivé à la libération, on a atteint un autre plan de conscience, on pourrait dire que l’on est alors "au-dessus" du labyrinthe, et il n’y a donc plus lieu d’y replonger…
Le labyrinthe est composé de 11 cercles concentriques. Dans une approche chrétienne, il se situe entre deux nombres parfaits, le 10 et le 12. Le 10 qui renvoi à la tétraktys pythagoricien, 1+2+3+4=10=1 plénitude de la divinité, et le 12 comme les 12 apôtres ou tribus d’Israël, symbole de plénitude terrestre. Être en chemin sur le 11, illustre peut-être cette mise en chemin pour se dépouiller, et tendre vers la perfection et se préparer à l’étape ultime.
Il est très probable que ce chemin ait servi à des processus plus personnels de pénitents, en le parcourant en priant, à genoux, etc...
La marche du labyrinthe est aussi une école d’humilité. Où que l’on soit, si l’on croise quelqu’un, on sera en contresens, comme tous ces gens qui ne « pensent pas comme moi ». Et portant au final, nous suivons le même chemin qui finira au même endroit…
Un regard trop rapide du dessin du labyrinthe laisse à penser que les portions proches du centre sont plus près de Dieu, et les plus distantes sont les plus éloignées de Dieu. Hors dans les faits, c’est tout le contraire. Plus on est près du centre, plus il reste de chemin à parcourir, alors que les circonvolutions les plus éloignées sont celles qui vous amènent à l’aboutissement et la libération… Comme quoi il ne faut pas juger l’autre et son chemin. Suis-je vraiment plus avancé ou plus en retard que lui ?...
L’aboutissement se fait au centre du labyrinthe, dans cette rosace à 6 lobes, symbole bien connu de la porte entre les mondes du créé et de l’incréé. (voir les liens entre la Fleur de Vie, l’Étoile de David, et la Vésica piscis). => Fleur de Vie...

Retenons que ce cheminement se fait sans embranchement, sans choix. On ne peut pas se tromper, on ne peut qu’arriver au bout, au paradis, à la fusion, à la plénitude.
L’approche chrétienne parlera de la miséricorde du Christ, quelle qu’ait été votre vie. J’aime aussi y voir une superbe illustration de l’Advaïta Vedanta. Quelles que soient nos actions, "proches ou loin de Dieu", elles se font en Lui et aboutissent en Lui..

Sculpture du labyrinthe :
Pour réaliser "mon" labyrinthe, j’ai creusé le chemin dans du chêne massif, avant de le dorer, illustrant ainsi une de ses dénominations de "chemin de lumière". Les contours du chemin, sont contrastés au bitume de Judée, afin d’être au plus proche de la teinte des pierres sombres issues des carrières de Givet dans les Ardennes.
Ce labyrinthe d’un diamètre de 60cm représente néanmoins 21.5 mètres de déroulé... On comprend à quel point ce dessin est un concentré d’énergie.
Je l’ai placé dans un cadre de 70cm, où j’ai figuré les emplacements des piliers des 2, 3 et quatrième travée. Tout est à l’échelle. En périphérie, sculpté dans la masse du chêne, un cadre doré fini cette œuvre. Décoratif, mais surtout support méditatif, on peut le parcourir du doigt comme celui de la cathédrale de Lucca / Lucques, Italie, 12em sc (qui a précédé de quelques décennies celui de Chartres).

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